La Révolte ordinaire
Il est de bon goût, en France de "n'être pas d'accord", c'est une preuve de "motivation" et de participation à la vie collective que de geindre en public parce que l'on ne s'est
pas montré capable d'obtenir des résultats par la discussion posée et l'Ecoute.
Personnellement je refuse toute idée de grève.
Et ce doit être cette position qui me rend tellement insupportable pour nombre de gens.
Le fait de ne pas aimer mentir, ni tricher.
Je me rends compte que toutes ces mauvaises habitudes que je n'ai pas prises me rendent impopulaire.
Dans un contexte social précaire, je devrais me sentir "comme tout le monde", appeurée et mal dans mes nuits....mais je dors bien et sans somnifères, ni abus d'alcool!
Je sais, je ne devrais pas l'avouer, c'est mal d'être bien portante dans un monde qui se sent pris dans le chaos.
Et surtout, cela donne l'impression que je me sens supèrieure....alors que je n'y aurais jamais pensé si l'on ne me traitait pas avec condescendance!
Nous sommes des miroirs les uns des autres, et le reflet que je renvoie est "trop neutre" ou trop invraisemblablement positif.....donc suspect!
Et oui...que peuvent cacher des gens sans problèmes?
D'où leur vient leur sourire et leur bonne humeur?....j'en arrive à me cacher d'être heureuse, je l'avoue, je vois bien que ça gêne aux alentours....et qu'il vaut mieux que je dise que je ne vais
pas bien, sinon je n'ai pas d'amis!
C'est logique, les gens aiment se raconter leurs malheurs, ils se lient entre eux par la solidarité à cause de leur souffrance, de leur victimisation....il n'est pas prévu d'être sans problèmes
d'erection ou sans désirs de vengeance même après avoir été jugée injustement.
Depuis que je suis revenue en France....(mais ce n'est peut-être pas la France puisque c'est la Franche Comté?) je ne me suis jamais sentie si seule, si malhonête, si mal-aimée, si indisposante,
si "trop" ou "pas assez"....mais seulement lorsque je suis parmi tous ces gens bien-pensants et qui se connaissent et se re-connaissent entre eux depuis la maternelle.
Pensez! Ils n'ont jamais eus à sortir de leur territoire pour aller chercher du travail, jamais ils n'ont connu autre chose que leur nid douillet et une vie prospère et sans soucis, nourris par
un bassin industriel et technologique fertile depuis cent cinquante ans, protégés du pire par la neutralité suisse, ils n'ont pas encore su ce que "perdre" signifie! Et lorsqu'ils
expérimentent un petit tracas, c'est vite réglé avec l'aide du cousin et du voisin.....mais ce n'est pas pareil pour les étrangers comme nous.
Nous, on n'est pas né là, et même mes enfants ils ne les traitent pas avec impartialité. C'est difficile de leur parler parce qu'ils ne s'interressent pas à ceux qu'ils ne connaissent pas depuis
l'enfance....ah, sauf pour les accuser de quelque chose de "pas correct"....c'est pour le principe, je pense, pour que nous nous sentions obligés de respecter "leur régle"....jamais on ne m'a
expliqué ce que cela représente, mais j'ai la sensation que cela signifie quelque chose de très intime pour eux. C'est une sorte d'omerta qui se traduit avec les yeux...un genre de mise en
garde imperceptible et pourtant très palpable....comme si nous n'étions pas "méritants" de vivre avec eux, sur leur territoire, comme si nous étions des piques-assiettes, des
parasites....d'ailleurs cela conditionne l'accés à la crêche et nombre de pratiques....nous sommes tolèrés, mais atention! A quoi? je n'en sais rien et j'ai fini par m'en moquer, au bout de 4 ans
de portes fermées, de coeurs pleins d'amertume et de non-dits ou de trop dits ....je suis lasse de chercher à m'inscrire dans une société qui ne s'unifie qu'à partir de l'idée d'opposition ou de
communauté familiale.
Faut-il s'opposer pour être heureux, faut-il être né dans une région pour en faire partie? Pour moi, non. Mais je dois bien reconnaître que ce n'est pas le vécu de tout le monde et que pour les
français....et aussi pour les franc-comtois, la révolte ordinaire, le ronchonnement et l'inaptitude au dialogue sont des leitmotivs de rencontre et d'auto-congratulation....nous sommes vivants
puisque nous sommes encore capables de nous révolter....au moins le temps d'une demi-journée! Cela donne l'occasion de manger une saussisse avec les copains, hein? Alors, comme je ne mange même
pas de saussisse, c'est grave docteur? Lila